dimanche 12 juin 2016

À propos de la réforme de l'orthographe (et 4)

Notre révision de la réforme de l'orthographe touche à sa fin. On a vu défiler des trémas qui se déplaçaient vers la voyelle contigüe, des accents circonflexes qui sombraient dans l'abime et des accents aigus qui se retournaient allègrement sur eux-mêmes au moindre évènement pour devenir des accents graves. Mais ce n'est pas tout, d'autres éléments n'ont pas été épargnés par ce fléau qui menace de sévir en France dès la rentrée scolaire.

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Le trait d'union est à son tour touché par les recommandations de l'Académie, qui préconise sa généralisation dans les numéraux composés: nous pourrons désormais nous mettre sur notre trente-et-un ou faire les quatre-cents coups au lieu des traditionnels trente et un et quatre cents. Attention cependant! Million, milliard, millier sont des noms, donc ils ne sont ni précédés ni suivis d'un trait d'union: trois millions quatre-cent-mille-deux-cent-huit. Mieux vaut l'écrire en chiffres!

Par contre, dans d'autres cas la nouvelle orthographe nous invite à enlever ce trait d'union et à souder les deux éléments de certains noms composés; difficile d'établir une règle qui permette de s'y retrouver dans cet océan de noms qui peuvent ou non supprimer leur trait d'union; il s'agit tantôt de noms composés d'un élément verbal suivi d'une forme nominale ou de 'tout' (boutentrain, crochepied, croquemonsieur, fourretout, passepartout, portemonnaie, tirebouchon, piquenique...), tantôt de noms composés d'éléments nominaux et adjectivaux (arcboutant, autostop, bassecour, branlebas, hautparleur, terreplein...), tantôt finalement d'onomatopées ou de mots expressifs d'origines diverses: froufrou, grigri, mélimélo, pêlemême... Bref, il faudra changer son traintrain, faire un beau tour de passepasse, et travailler d'arrachepied pour faire cuire le tournedos dans un faitout sans gâcher le millefeuille que la sagefemme mijote alors que le hautparleur débite son prêchiprêcha.
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Le trait d'union est également à l'honneur quand on aborde le cas du pluriel de certains noms composés formés d'un verbe suivi d'un complément d'objet direct au singulier (garde-meuble, essuie-main, perce-neige, tord-boyau, trouble-fête) ou alors d'une préposition suivie d'un nom au singulier (après-midi, sans-abri, sous-verre); dans ces mots, autrefois invariables, le second terme prendra la marque du pluriel quand le mot composé sera lui-même au pluriel: des abat-jours, des à-pics, des après-skis, des gratte-ciels, des ouvre-boites, des pousse-cafés: un vrai casse-tête ou des remue-méninges ? En tout cas, c'est à utiliser au compte-goutte si on ne veut pas devenir des pisse-vinaigres. D'autant que, comme d'habitude, il y a des exceptions: par exemple, si le nom prend une majuscule (prie-Dieu) ou s'il est précédé d'un article singulier (trompe-l'oeil, trompe-la-mort), le nom ne prend pas de marque au pluriel.

Mais la réforme de l'orthographe a aussi pour but de corriger des désordres ou des anomalies à l'intérieur de certaines familles de mots, ce qu'on appelle dans le jargon linguistique les 'séries désaccordées', des erreurs que l'orthographe a introduites il y a parfois des siècles mais qu'elle s'est obstinée à préserver. Pourquoi continuer d'écrire chariot, avec un seul /r/ alors que les autres mots de sa famille (charrette) en contiennent deux ? On écrira donc tout naturellement charriot comme on écrira combattif (avec les deux /t/ de combattre), bonhommie (avec les deux /m/ de bonhomme) ou boursouffler (avec les deux /f/ de souffler): vous ne croyez pas que c'est une imbécillité que d'écrire ce mot avec deux /l/ alors qu'imbécile n'en a qu'un seul ? Vous voyez bien que tout n'est pas mauvais dans cette réforme...

Et dans ce chapitre, celui des anomalies, c'est le mot ognon qui figure en tête du classement des plus controversés, largement devant nénufar (qui ouvrira peut-être la porte à de nouvelles suppressions jugées inutiles du groupe ph) et autres tocades (au lieu de toquades) plus ou moins douçâtres (jadis douceâtres)...

Image d'Odile MEYLAN dans la Tribune de Genève

Certaines de ces mesures ont été entérinées (c'est-à-dire confirmées) par l'usage en toute simplicité, notamment celles qui visaient la régularisation des accents graves devant une voyelle muette, y compris les futurs et les conditionnels des verbes du type céder, ou encore d'autres mots dont la prononciation réclamait un accent que la graphie se refusait à accepter (par exemple asséner, bésicles ou québécois); pareil pour certains mots d'origine étrangère dont les pluriels ont été régularisés (confettis, barmans ou cherrys). Dans d'autres cas, l'usage ne s'est pas complètement généralisé et l'on assiste toujours à une cohabitation des deux graphies qui, semble-t-il, devrait se prolonger dans le temps.

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Et pour tous ceux qui voudraient en savoir plus et analyser la polémique dès le début, voici le document qui a tout déclenché, Les rectifications de l'orthographe, de l'Académie Française.